L'aventure d'une plume

L'aventure d'une plume

Première partie

 Voici la première partie...

 

 

 

 

      Comme tous les jeudis matin, j’étais face à ta tombe, je déposais une rose jaune. Le jaune te va si bien… Je restais là, me laissant porter par la brise matinale si douce aux débuts des beaux jours, lancinante en fin d’année. Comme tous les jeudis matin je souriais, face à toi si loin de moi, je souriais tristement, incapable de partir. Ce jeudi matin, comme tous les autres, j’attendais que mes genoux deviennent trop faibles et m’obligent à m’éloigner quand, une petite main délicate et douce s’insinua dans la mienne. « Pouvez-vous remplacer ma grand-mère ? ». J’ai cru rêver au son de ta voix juvénile. « Vous devez avoir le même âge, cela correspondrait ». Cette voix… J’ai cru passionnément que c’était toi. Quelle ne fut pas ma surprise à la vue de cette enfant. Elle possédait les mêmes boucles blondes et ce teint de porcelaine que toi. Ses yeux brillaient, venait-elle de pleurer ? Incapable de répondre à cette image du passé, la petite réitéra sa question, plus pressamment. Toujours perturbée, je répondis bêtement :

« Qui es-tu ?

-          Henriette ! Drôle de prénom pour une enfant de 9 ans en 2017, n’est-ce pas ? Mais vous ne m’avez pas répondu.

Personne n’aurait pu rester de marbre à la vue, à l’ouïe d’Henriette, pas même toi. Imagine-toi, à nouveau innocente, imagine-toi, à nouveau perspicace, imagine-toi à nouveau amoureuse de vivre. Te reconnais-tu ? Moi je te reconnais, à 9 ans, l’âge où tu as débarqué dans ma vie à jamais.

-          Excuse-moi Henriette, tu ne peux pas demander à une inconnue dans un cimetière si elle veut être ta grand-mère, c’est impossible, lui répondis-je tendrement

-          Ma grand-mère disait toujours que l’impossible est la plus belle des aventures et vous portez la même sagesse qu’elle.

Après toi, je ne pensais pas rencontrer un être si charmant et intelligent.

-          Demain, je vais nourrir les canards à l’étang vers trois heures de l’après-midi, reprit-elle, y seriez-vous ? Prenez votre temps, je surprends constamment les adultes ; ils n’ont pas l’habitude de voir une enfant si peu enfantine.

Une pépite, sur mes vieux jours, le ciel m’avait envoyé une pépite.

-          Bien, j’y serai. »

Souriante, elle lâcha ma main et s’en alla.

            Une fois rentrée chez moi, je dus m’assoir pour reprendre mon souffle. Qui était Henriette ? Pourquoi étais-je à nouveau confrontée à toi ? Un cadeau ou un achèvement ? Traînant mes vieux os jusqu’au grenier, je cherchai nos photos. Elles devaient être aussi enduites de poussière que de nostalgie. C’est d’ailleurs pour cette raison que je laissais les années s’écouler sans y toucher. Mais j’ai besoin de savoir si mes souvenirs de toi sont altérés ou si cette petite fille est bien ton portrait craché. Je n’ai pas eu besoin de chercher bien longtemps, il fallait que j’aille tout au fond prendre cette vieille boîte rose. Oh, Arianne, si tu savais la douleur qui m’a ensevelie à la vue de ces clichés ! Tu étais si lumineuse et moi si avide de te plaire. Tu avais un teint de poupée encadré par de grosses boucles blondes et des yeux brillants. Epuisée, je m’endormis dans mon ancien canapé d’étudiante recouverte de notre passée.

            Trois heures de l’après-midi, je suis là, j’attends. Elle arrive. Je suis toujours aussi hypotonisée par votre similarité. Elle sautille vers moi, éblouissante, elle s’exclame :

« Vous êtes venue ! J’en étais persuadée !

-          Oui, je suis là mais ne crois pas que je puisse remplacer ta grand-mère. On nourrira les canards ensemble les après-midis si tu le souhaites. Ne vas-tu pas à l’école ?

-          L’école ? répondit-elle en s’esclaffant, l’école ne m’a jamais rien apporté, je l’ai quittée et j’apprends seule ou au cours de mes rencontres. Je veux bien nourrir les canards avec vous, je les nourris toujours toute seule.

-          Et bien, entendu, nous nous occuperons des canards ensemble. »

      Elle souriait. Elle était enchantée de si peu mais dans son regard notre rencontre semblait l’avoir réjouie de manière invraisemblable. Elle se mit à discuter avec moi sans s’arrêter. Quelle pipelette ! Elle parlait de tout et de n’importe quoi. Son attachement à sa grand-mère était si puissant, un voile sombre passait dans son regard à chaque évocation de celle-ci. J’appris qu’elle décéda d’une crise cardiaque foudroyante. Et la petite l’adorait ; sa grand-mère l’avait pratiquement éduquée. Sa mère était rarement présente. A 9 ans, elle s’occupait de son petit frère de 4 ans. Lui allait à l’école. Elle détestait l’école. Elle n’avait aucun lien avec les enfants de son âge, ses discussions survolaient les sujets tendres de l’enfance. Pourquoi fallait-il que des enfants prennent la place des adultes ? Cette petite m’offrait une autre vision de la vie. J’ai toujours été seule ; or depuis Henriette, je n’appréhendais plus cette solitude. Désormais, je souriais à la vie de la même façon qu’Henriette. Elle possédait le don de transformer toutes les situations. Le dépréciatif en mélioratif. Les pleurs en rire. La douleur en euphorie. Nous sommes devenues rapidement proches. J’ai peur qu’elle ne s’attache trop à moi : ma santé est fragile, comment le vivrait-elle ?

      Plus je passais mon temps en sa compagnie, plus vos similitudes se dissipaient, laissant peu à peu apparaître vos différences. Cependant, comme beaucoup, tu as dévié en cours de route. A l’époque je ne savais pas, jusque maintenant je ne savais pas.  En cette journée de printemps ensoleillée, mes souvenirs prirent le dessus et mes larmes s’échappèrent sans que j’eusse le moindre contrôle. Henriette vint se coller contre moi, douce et chaleureuse. Je parlais, cette fois-ci c’était mon tour, je m’exprimais enfin.

 

Lisbeth Amirel

La suite dans quelques jours... wink

 



24/03/2018
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser