L'aventure d'une plume

L'aventure d'une plume

Seconde partie

     

      « Si tu savais ma petite Henriette comme tu lui ressembles, tu es même son portrait craché. Elle s’appelait Arianne, je l’aime depuis ton âge environ. Ma meilleure amie, mon ennemie jurée, mon bourreau, mon épaule, elle était mon tout. Dès le premier jour, je l’admirais et je n’étais pas la seule. Elle suscitait envie et jalousie sur son passage. Oh moi, je n’ai jamais ressenti pareils sentiments à son égard. Je l’idolâtrais. On n’avait pas vraiment d’alternative avec elle ; soit on la vénérait soit on la haïssait. Elle n’inspirait ni demi-mesures ni n’en avaient. Et cela me passionnait. Elle représentait la fougue, l’indépendance, l’image d’une femme forte, surtout dans les années 40 après la guerre, à l’aube de bouleversements fondamentaux pour la société dans laquelle tu vis. A 9 ans, c’était l’ange des campagnes, nous vivions en Provence, en pleine cambrousse. Elle était guillerette et croquait la vie. Tandis que j’étais l’enfant sage, calme et timide. Ces caractéristiques ne bougèrent guère. A 18 ans, c’était une jeune femme courageuse, investie dans la Résistance. Je l’étais aussi mais toujours dans son ombre. C’était elle que les soldats aimaient, essayaient de séduire. Moi j’ai toujours été l’interface avec eux. J’étais son amie avec qui les hommes pouvaient obtenir des renseignements pour l’approcher. A 25 ans, nous étions montées sur Paris. Elle arpentait les rues instinctivement comme une vraie mondaine, chic et désirable. Elle usait d’ailleurs de tout ce charme. Elle faisait mine d’être prude, mais moi je savais qu’elle était avide de luxe à travers les hommes. Elle multipliait les conquêtes sans être conquise. Moi j’étais encore et toujours cachée derrière ce soleil. Les hommes ne me remarquaient pas. Jusqu’à ce 18 mai 1954, ma rencontre avec Pierre. Je sortais de la banque où j’étais calculatrice. La brise était légère, un peu comme aujourd’hui. Je rêvassais, je pensais passer à la boulangerie avant de rentrer chez nous, chez nous signifiait chez Arianne et moi. Un pickpocket s’est jeté sur mon sac : totalement déconcertée je n’ai su comment réagir. Lorsqu’un homme sorti de nulle part courut après ce voleur et récupéra mon sac. Quand nos regards se croisèrent, ah ma petite Henriette, je venais de vivre le coup de foudre, l’amour à l’état pur. Il se présenta. Je le remerciai et partis en me demandant comment j’allais faire pour le revoir. En rentrant, je racontai toute mon aventure à ma meilleure amie. Je voyais ses traits se tirer et son éternel sourire se dégrader au fur et à mesure que je contais mon histoire. Son joli minois transpirait de jalousie. Je savais qu’elle avait pour défaut ce vice. Etant petite, à l’école, elle aimait bien piquer mes affaires pour que je rate les interrogations, cacher ma blouse pour que je me fasse gronder, couper mes cheveux à la garçonne pour soi-disant m’embellir. Mais je l’aimais, alors je lui pardonnais et ne l’accusais jamais. Elle me demanda tous les détails possibles sur Pierre et s’investit corps et âme à la recherche de ce jeune homme. Mais elle n’eut pas à le faire bien longtemps puisque le surlendemain, à la sortie de mon travail, il était là avec des fleurs, des tulipes roses. Je n’en crus pas mes yeux quand il se dirigea vers moi. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand Arianne surgit de derrière lui ; elle ne venait jamais, trop occupée à batifoler. Le pauvre jeune homme n’eut pas le temps de me saluer qu’elle lui sauta dessus pour lui demande s’il était « le fameux Pierre » avec une attitude aguicheuse. Je m’aperçus très rapidement, en moins d’une seconde pour être précise, que mon Arianne ne laissait pas ce fameux Pierre indifférent. Mais pour la première fois, mon cœur eut mal. Il m’offrit les fleurs après son jeu de séduction avec Arianne. Elles n’avaient plus la même odeur qu’à leur arrivée. Les jours suivants, il vint à chaque fin de mes journées mais Arianne aussi. Je ne comprenais pas, il venait pour moi, du moins je le croyais, en ne refusant jamais la compagnie de mon amie. Ce manège dura deux semaines. Le 1er juin, il m’invita à piqueniquer. Je n’en revenais pas, Arianne non plus, sa perfection légendaire ne put cacher son amère surprise. Tu te doutes bien que j’ai accepté sa demande. J’allais enfin le voir seule.

 

      Le 2 juin, ce pique-nique fut le meilleur moment de ma vie. J’étais le centre d’attention de quelqu’un, ce n’était plus Arianne. Je m’en voulais de penser ainsi, elle avait été si bonne avec moi. Certes elle était jalouse, mais grâce à son rayonnement, je vivais. Elle me faisait valser dans sa vie et j’adorais ça. Mais ce 2 juin 1954, ce fut ma première valse, à moi, rien qu’à moi. J’ai laissé Pierre me tenir la main, me la baiser, oui nous étions très pudiques à l’époque. La journée passa si vite, ce ne fut qu’en bas de mon appartement que je l’autorisai à m’embrasser. Je me rappelle encore de la sensation de ses lèvres sur les miennes, de sa main puissante tenant mon visage, à droite, de la pression de sa bouche qui semblait si sincère, de son baiser doux empli de désir. Il s’arrêta, me regarda, me sourit, m’embrassa sur le front et me dit à demain. J’ignorais qu’Arianne avait suivi toute la scène depuis le trottoir d’en face. Nous remontâmes ensemble, elle faisait preuve de trop d’enthousiasme. Pendant deux ans, elle arrêta les coups tordus. Elle se montrait attentionnée et aimante à mon égard. Elle ne m’enviait plus. Je retrouvais la face merveilleuse de mon Arianne, telle que je la percevais. Mon frère a essayé de me prévenir quant à sa perfidie. Je ne l’écoutais pas, je ne voulais pas y croire, il ne la connaissait pas comme moi je la connaissais. Il ne l’aimait pas, elle le répugnait.  Au grand malheur d’Arianne, son seul et unique amour avait été mon frère.  Mais il n’apercevait que ses défauts et moi ses qualités. On aurait dû avoir un équilibre. A cause d’elle et après de nombreuses mises en garde, mon frère me laissa. Il ne supporta que je consentisse d’être manipulée tel un pantin. Je souffris énormément de cette fracture. Cela représentait à la fois la tristesse de perdre un frère et ma future chute dans les bras d’Arianne. Je ne savais pourquoi, mais j’étais accrochée à elle. Sans sa présence, j’étais vide.

 

Lisbeth Amirel

 



30/03/2018
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