L'aventure d'une plume

L'aventure d'une plume

En Apothéose


En Apothéose

     

      Mon corps brulait de frénésie au rythme d’un électro transcendant. Ma tête se déchainait sur le tempo qui s’accélérait. La pièce puait notre oubli, puait notre tristesse, puait notre envie de crever. On se définit toujours comme quelqu’un de différent pour paraître unique. Or dans cette pièce, mes hanches ondulaient de la même façon que celles de ma voisine, ou de mon voisin. On portait tous les mêmes habits, dévoilant ce qu’on haïssait le plus. Ce n’était ni le lieu ni le moment de s’interroger sur le genre auquel on appartenait. On transpirait tous de la même manière, nos corps s’épuisaient à éliminer les toxines de nos vies. Et les réelles merdes comme ces doses d’héroïne ou autres. Chacun ses goûts. Cela pourrait nous différencier, nos goûts pour la merde. Seulement, notre but à tous, était l’autodestruction. On prenait tous plaisir à tester les limites de cette enveloppe qui nous enchaînait à une vie qu’on vomissait. Pour la personne, à ma diagonale droite, c’était littéralement le cas. Je me resservais sans compter des shots à démonter un camionneur. Pouvais-je l’être d’ailleurs ? Un camionneur. Mon esprit divaguait plus vite que les mix. Je ne réfléchissais plus. Je devais juste bouger le plus vite possible, arriver à bout de force, m’écrouler et achever cette vie avant qu’elle ne le fasse elle-même. On était tous les mêmes dans cette pièce, en quête d’identité. On voulait tous mettre notre corps à rude épreuve. Voir jusqu’où ce dernier pouvait nous détruire. Si ce corps nécessitait réellement de l’attention. On était tous là, à se défoncer, parce qu’on se haïssait à en mourir.

      Je m’appelle Arnaud, juridiquement, Alice, au plus profond de mon âme. Et je continuerais à m’exprimer à travers elle. Si je ne l’ai pas encore suffisamment abîmée pour qu’elle se décide, elle aussi, à m’abandonner. On était tous des transsexuels à cette soirée. Voici comment le monde extérieur nous définissait. Comme des pauvres gens malheureux, ou des contre-nature, des malades mentaux. On était malades. Voilà, c’était plus simple à expliquer comme ça. Une maladie sans remède m’avait atteinte et j’étais à plaindre. Et à cacher, il ne faudrait surtout pas contaminer la population. Je ne souhaite à personne ma maladie. Parce que ça n’en n’est pas une. Je suis née dans une prison. Tous les jours j’espère me réveiller femme. Ne pas aller pisser debout, voir cette barbe, ces muscles, ces pieds trop larges, trop grands, ces mains trop puissantes, cette mâchoire carrée. Pourquoi si à l’intérieur de moi, je suis une femme, n’ai-je pas une poitrine ? Une taille marquée ? Des petites mains ? Des pieds fins ? Un visage fin ? Pourquoi suis-je obligée de construire tout cela moi-même ? Pourquoi n’ai-je pas eu la même chance que tout le monde ?

      Je ne me considère pas malade. Mais, mon premier réflexe, en me découvrant a bien été d’aller voir un médecin. Je ne l’explique toujours pas. Non, c’est faux, je pourrais. Enfant, j’ai été conditionnée dans cette corporation de scientifiques. Parents chercheurs au plus haut niveau, je n’ai jamais eu le droit de m’exprimer autrement qu’à travers les maths, la physique. Si, j’ai eu le droit à la musique car le nombre d’or régit les notes. Et puis, il fallait bien que j’aie l’apparence d’un profil complet, même si seuls les sciences comptaient. J’ai été élevé pour raisonner. Donc, en tant qu’esprit cartésien accompli, il fallait que je comprenne ce qui m’arrivait. Ce médecin connaissait très bien son métier, j’ai eu l’explication que je souhaitais, les hormones en période fœtale ou embryonnaire, les détails n’étaient pas importants ; j’avais un compte-rendu qui tenait la route. Seulement, quelque chose restait inexplicable… Je ne me sentais pas soulagée d’avoir une réponse calculée. Une chose nouvelle apparaissait en moi, une chose à laquelle je n’ai jamais été confronté ; l’émotion. Une charge émotionnelle absolument insoutenable me fonçait dessus et m’épuisait. Par la suite, j’ai vite compris ce qui m’arrivait ; je ne supportais plus la vue de mon corps masculin si bien sculpté, j’enviais le corps des femmes, si harmonieux, si généreux. Je voulais ce corps. A 19 ans, la personne que j’étais se réveilla douloureusement. Je mis mes parents au courant, le soir même j’étais à la rue. Je me suis retrouvée dans un centre social, où je dormais la nuit pendant que le jour j’essayais de m’accommoder à ce nouvel esprit. Je voyais le monde différemment, avec plus de sensibilité, j’oubliais les lois de l’univers et je ne sais quelle équation.  

      Ma vie dura ainsi 2 ans. En 2 ans, j’avais réussi à modifier quelque peu mon corps mais le résultat ne me satisfaisait pas encore. J’étais peu sortie pendant ces deux années, ma seule activité était le plus vieux métier du monde. Oui tout à fait, j’étais devenue une prostituée. Et je le suis toujours. J’ai envie de croire que ces passages me voient tel que je suis. Et puis, je ne gagne pas trop mal ma vie de cette manière. Pourquoi 2 ans ? Car au bout de 2 ans, je fis la rencontre de mon plus beau rêve cauchemardesque. 

      Elle était comme moi. A l’exception de sa liberté. Je suis tombée amoureuse. Tellement vite, trop vite. Je n’ai pas attendu de la connaître, quelqu’un s’intéressait à moi, je ne devais pas rater ma chance. Je n’avais rien compris, j’étais jeune, seule, perdue dans une vie qui ne m’appartenait pas.  Notre idylle résista 6 mois. J’appris que j’étais séropositive. Elle m’avoua alors qu’elle l’était aussi. C’était sa faute, forcément, je faisais toujours très attention avec mes clients. Dès lors, elle m’entraîna dans le monde des drogues, ou des déchets. J’étais séro, j’avais perdu tout espoir de m’en sortir. Certes, il existait des médicaments, mais aucuns ne correspondaient avec mes prises d’œstrogène. Je me vomissais dessus, m’évanouissait quatre fois par jour et j’en passe. Mon amour commença à s’éloigner. Je n’ai pas pu le supporter. J’ai arrêté les traitements et je me suis moquée de la vie. Je la défie. Je la repousse. Je refuse sa tendresse. A une soirée, elle me proposa des « drogues de récréation » comme on dit ; exta, speed… Je me révélais, je devenais une autre personne, je pensais être libre. Pauvre petite conne. Les descentes, je ne vous en parle pas, j’ai cru crever plusieurs fois. J’étais persuadée de provoquer la mort, mais en réalité c’était la vie.  Bref, à un moment, à force de prise, les effets de me convenaient plus. Je suis passée à la cocaïne. Puis à une soirée, elle me demanda de prendre de l’héroïne. Je l’ai fumée. Le goût me dégoutait, je ne voulais plus en reprendre, les effets n’étaient même pas plaisants. Mais j’étais influençable. Les fois suivantes, je continuais à prendre la drogue ultime. Elle me proposa de me piquer, je le fis. Après tout, j’étais séropositive, j’allais mourir, des tâches commençaient à apparaître dans mon dos, une toute petite piqûre était ironique à côté.

      Mon physique commença à changer. Je ne devenais pas une femme. C’était déjà fait, j’avais subi quelques opérations et le résultat était plutôt réaliste. Il ne changeait pas dans le sens que j’avais toujours voulu. Il se modifia affreusement. Des cernes violacés s’installèrent définitivement, je maigris à vue d’œil, mes mouvements devinrent lents, incontrôlables. Je le faisais avec l’amour de ma vie. Je pensais donc être en sécurité, être libre.  Aujourd’hui, je sais. Elle ne m’aime pas, même moi je l’aime pas. On se hait. On se hait de toutes nos forces, du peu qu’il reste. On se hait car nous sommes le parfait miroir l’une de l’autre. Une vie d’échec. On aurait pu avoir une belle vie. Etre capable de se relever ensemble. On aurait pu s’aimer. A la place, on a décidé de mourir avant même d’essayer.

      Je sors enfin de cette boîte, je m’allonge un peu plus loin, sur mon trottoir habituel. Je laisse les hallucinations opérer. Je te regarde droits dans les yeux et je te souris. Tu as réussi, belle salope, à t’autodétruire. 

 

Lisbeth Amirel


25/03/2018
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